Si tu n'a pas encore eu l'occasion, découvre l'histoire incroyable de ce château du XIIIème siècle qui se construit de nos jours avec les moyens et les outils de l'époque !
Tu trouveras un premier post dans lequel je présente le Chateau de Guédelon, puis un second dans lequel je conte mon immersion dans cet univers, à travers ma première moitié de semaine en tant que fendeur.
Ce troisième (et dernier) post me verra évoluer, toujours parmi les bucherons, mais cette fois ci en tant qu'équarrisseur.
Construire un château, mais également un village pour héberger les ouvriers, les outils, les attelages, les échafaudages nécessite une quantité de bois incroyable.
Ainsi, la localisation des châteaux était elle décidée en fonction de critères stratégiques, mais également en fonction de l'approvisionnement en matières premières pour le construire.
Le Château de Guédelon se construit sur une ancienne carrière, perdue au milieu des bois. Ceux ci furent furent la source d'approvisionnement durant les premières années de construction, mais le besoin était tel que la réalisation de ce projet pharaonique aurait eu raison de tout le bois des alentours.
La bâtisse aurait certainement perdu de son charme, seule au milieu d'un désert.
Ainsi, une partie du bois actuellement utilisée est achetée à l'ONF et provient de forets situées dans un rayon de 50Km.
L'équarrisseur travail donc à partir de grumes : des troncs bruts. Son rôle est de répondre aux commandes passées par les charpentiers.
Ceux-ci on principalement besoin de poutres comme vous vous en doutez, mais également de pièces plus complexes.
C'est ainsi que je fut affecté à l'équarrissage de ce qui sera une jambe de force de la charpente du logis seigneurial.
La jambe de force est la partie courbe, située en bas à droite de cette image.
Son rôle est de transférer une partie du poids de la charpente sur le mur de soutient.
Afin de créer une pièce courbe, il est nécessaire d'utiliser un bois ... courbe bien entendu ! En effet, la résistance de la pièce est d'autant plus grande que les fibres qui la composent ne sont pas coupées. Nous sélectionnons donc à cet effet des pièces dont les fibres sont naturellement courbées.
Une fois la pièce choisie, elle est positionnée sur un support, et bloquée à l'aide de deux clameaux. La position est précisément choisie afin que la courbure soit orientée vers le bas.
La première étape consiste à tracer sur chacun des cotés de la grume la future largeur de celle-ci. Pour cela, nous utilisons un outil de très haute précision qui nous permet de tracer une première verticale, puis une seconde, rigoureusement parallèle, aux dimensions requises par nos clients les charpentiers.
Cet outil qui nous permet ces tracés parfait n'est autre que l'ancêtre du fil à plomb : le caillou au bout d'une ficelle !
Une fois les deux cotés tracés, il ne reste plus qu'a supprimer la partie de bois superflue à l'extérieur de la pièce. Ceci est fait grâce à une hache, ou, plus précisément, une doloire.
La doloire permet donc de fendre (et non de couper) de fines couches de matière, en suivant les fibres. Les couches sont enlevées les unes après les autres, jusqu'à arriver à une surface totalement plane.
Celle ci est vérifiée à l'aide de notre incroyable outil :
Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il est possible d'atteindre un niveau de précision tout à fait respectable comme le montre cette vue de la première face terminée :
Nous pouvons même constater que la pièce est plus verticale que le photographe :
La première face est terminée, la seconde sera réalisée de la même façon. Le changement de coté est une étape plus complexe qu'il n'y parait, puisqu'il est nécessaire de fixer la grume solidement, tout en positionnant la face déjà équarrie à l'exacte verticale !
Une fois nos deux faces parfaitement parallèles, on fait un quart de tour à notre grume, et nous traçons le gabarit. Ce gabarit est une fine pièce de bois qui a été taillée de manière à reproduire la forme de la pièce à réaliser. Celle ci est alors tracée grave à un bout de charbon sur la face plane.
Je peux alors commencer une nouvelle phase de taille qui est légèrement plus complexe, car la surface n'est plus plane !
On vois un peu mieux sur la photo ci dessus la technique employée.
Les premières tailles sont des encoches qui permettent d'enlever la plus grosse partie du bois. Une fois ces entailles perpendiculaires réalisées, le travail le long du fil du bois permet de se rapprocher de la verticale de la ligne tracée.
La face intérieure étant faite, on continue avec la dernière face.
Vous pouvez voir sur cette photo la forme si particulière de la doloire, dont le manche est désaxé par rapport à la lame :
Et voilà donc, après trois jours et demi de travail, mon premier chef d'œuvre :
Alors que mon travail ici s'achève, je me pose bien entendu la question du devenir de ma pièce. Les charpentiers n'étant pas loi, je file les voire pour en discuter.
J'apprends que les fermes sont assemblées dans l'ordre, et que celle ci ferait partie de la cinquième ferme à venir. Je dois absolument me souvenir de cela pour ma prochaine visite !
Voici donc la photo qui contiens cette information primordiale :
Ma jambe de force se trouvera dans la cinquième ferme à partir du troisième tirant (la grande pièce horizontale) ! Arriverais-je à la retrouver ? J'espère répondre à cette question dès l'année prochaine ...
Voilà, je peux partir le cœur léger, je fait modestement partie de la légende de Guédelon.
A titre de conclusion, voyez ce que réalise le chef des équarrisseurs pendant ce temps la :
Cette poutre fait environ sept mètres de long, taillée dans une grume pesant probablement plus de deux cent kilos !
Il lui faut environ cinq heures et demi sans être interrompu pour en tirer une poutre parfaitement rectiligne !!!
Voici une petite vidéo le montrant à l'œuvre :
Voilà qui clôture cette série de posts sur l'aventure de Guédelon. Il est temps de revenir au XXIème siècle. Les méthodes ont évolué, les outils aussi. Notre technologie nous permet de réaliser des prouesses, mais les constructions que nous voyons aujourd'hui laisseront elles nos descendants aussi admiratifs et aussi rêveurs dans quelques centaines d'années ?
On peut en douter, mais il ne tiens qu'à nous, et qu'à moi, que cela soit le cas !
Alors retroussons nos manches, et voyons de quel bois on se chauffe ! Il est encore possible de faire du travail qui mette en œuvre tout le savoir acquis depuis des siècles, et de le marier à l'utile la beauté artistique qu'aucun prix ne pourra jamais acheter.
J'espère pouvoir bâtir un jour des maisons dans lesquelles le savoir faire, la patience, la créativité et la beauté seront une source de plaisir pour ceux qui sauront l'y voir.
A bientôt !